Il y a d’intenses réflexions à propos de l’urgence climatique, à l’échelle globale, se concentrant autour des énergies vertes et des compensations écologiques. Cela concerne tous les pays avec l’espoir que chaque petite avancée soit une pièce du puzzle. Alors un système global, juste, équitable et soutenable émergerait si nous réussissions à réduire nos émissions de carbone, par quelque moyen que ce soit.
Mais soyons réaliste: la situation est trop critique pour continuer le même jeu avec toujours plus d’intensité. Suivant l’allégorie de Paul Watzlawick, philosophe à Stanford, aujourd’hui décédé: face au mur, faut-il appuyer sur l’accélérateur, changer de vitesse ou sortir de la voiture? C’est la situation où nous sommes aujourd’hui.
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Si on se plonge au cœur de l’algorithme du capitalisme, on découvre un défaut fondamental: la très grande majorité des émissions de carbone d’origine humaine ne sont pas comptabilisées. Des mille milliards de transactions journalières effectuées sur les marchés, seulement une minuscule portion reflète leur vrai coût. Des pneus de notre voiture au smartphone dans notre main, en passant par les hamburgers des fastfood, chacun de nos achats est entaché d’une erreur fondamentale d’appréciation. Et chacun nous conduit plus près de l’effondrement.
Avec chaque transaction trompeuse, une nouvelle goutte d’eau coule d’un glacier en fonte, une nouvelle quantité de CO2 est injectée dans l’atmosphère, une nouvelle bulle de méthane s’échappe de la tundra. Si nous continuons suivant cette même inconséquence des millions de fois chaque jour, semaine après semaine, mois après mois, année après année, que pensez-vous qu’il arrivera?
Les économistes parlent le langage de l’efficacité et ils demandent au monde entier de s’y plier également. Mais pourquoi les économistes sont-ils silencieux sur cela, sur cette inefficacité fondamentale. Pourquoi dilapidons-nous notre capital naturel tout en appelant cela un revenu? Pourquoi la science économique, quand elle devrait se plonger dans cette faille systémique pour nous en sortir, est-elle si monstrueusement négligente?
Économistes, voici votre nouvel ordre de mission, merci de prendre cela en compte. Quel est le coût réel d’envoyer à Los Angeles un navire porte-conteneurs rempli de jouets fabriqués à Chongqing? Ou une caisse de pommes de Nouvelle-Zélande vers les marchés européens? Et quel est le vrai coût d’un frigidaire bourdonnant 24h/24 7j/7 dans une cuisine? Et ce bifteck en train de cuire sur le gril? Et cette automobile avançant sur la chaîne de production? Quels sont les coûts cachés de notre mode de vie, et dont les impacts sont destructeurs?
La nouvelle comptabilité débute par les petites choses: les sacs plastiques, les tasses de café jetables, les serviettes en papier. Estimons le coût écologique à 5 centimes par sac plastique, à 10 centimes par tasse jetable et à une fraction de centime par serviette papier. Nous ajoutons ces coûts. Bien sûr, c’est ce que nous faisons déjà avec les diverses écotaxes comprises dans le prix des pneus, des pots de peinture et autres produits. Mais maintenant, abandonnons les concepts de frais annexes, de taxes, et commençons à implémenter un prix basé sur le vrai coût à tous les niveaux et sur l’ensemble des étapes de production.
Quelle quantité de plastique est-elle produite par l’industrie chaque année? Nous demandons aux économistes d’estimer un prix approximatif. Disons mille milliards de tonnes. Ensuite, ils doivent estimer au mieux le prix environnemental que nous payons par nos décharges débordantes, par les océans pollués et la plaie que représentent les microbilles de plastique dans toute la chaîne alimentaire –disons 500 dollars par tonne. Chaque fabricant, entreprise ou détaillant qui utilise du plastique dans sonactivité devra en tenir la comptabilité. Peut-être cela représente-t-il un surcoût d’un quart sur chaque bouteille de Coca-Cola. L’entreprise ne pourra pas supporter une telle entaille dans ses marges. Elle devra réviser son business model. De la même manière, l’industrie automobile devra revoir la conception de ses voitures. Les compagnies agroalimentaires devront s’adapter.
Le coût de la vie augmentera et ce sera douloureux. Mais les emballages plastiques disparaîtront petit à petit de nos vies. Nous achèterons le lait dans des bouteilles en verre qui seront reprises en consigne. Nous laverons nos assiettes, couteaux et fourchettes et les réutiliserons années après années, parfois toute la vie. Le tourbillon de déchets dans les océans diminuera et finalement, il disparaîtra. Les déchets encombrant les espaces naturels disparaîtront. Les micro-particules de plastique cesseront de perturber les tissus des organismes de chaque mammifère, dont nous-même. Et l‘angoisse d’élever nos enfants dans un monde rempli de plastique aura disparu.
Avec l’ajout du coût environnemental des émissions de carbone, du coût de la construction et de l’entretien des routes, du coût médical des accidents, du bruit et de la dégradation esthétique due à l’étalement urbain, votre automobile individuelle vous coûtera aux alentours de 100 000 dollars et 150 dollars pour un plein d’essence. Vous serez toujours libre de conduire à votre guise, mais plutôt que de passer le coût aux générations futures, vous allez le payer directement. De très nombreuses personnes vont hurler et s’opposer, au moins au début. On dira que cette histoire de coût vrai est une punition pour les classes les moins favorisées de la population. Mais une fois en place, la facturation au coût vrai fera plonger l’utilisation de la voiture individuelle tandis que l’usage du vélo s’étendra. L’atmosphère dans les villes sera plus transparente, la respiration plus facile. Le covoiturage se développera encore. Les gens habiteront plus près de leur lieu de travail. La demande pour les trains, TGV, métros et tramways gonflera. Un changement de paradigme dans la planification des villes apaisera de rythme de la vie urbaine. Les villes seront bâties pour les gens, non plus pour les voitures. Les événements climatiques catastrophiques, comme les ouragans, les inondations, ainsi que les incendies géants, diminueront. Le spectre du réchauffement climatique ne sera plus aussi obsédant.
Il nous faut évaluer les coûts cachés des fermes industrielles et de l’industrie agro-alimentaire. Le prix des articles alimentaires doit augmenter pour tenir compte du vrai coût du transport sur de longues distances. Un avocat venant du Mexique vous coûtera 15 dollars. Vous ne pourrez pas en profiter aussi souvent qu’aujourd’hui. Et cette crevette d’Indonésie? Une fois la dévastation écologique des méga-industries alimentaires et des bateaux porte-conteneurs prise en compte, les crevettes afficheront environ 35 dollars la livre. Un hamburger avec fromage verra quadrupler son prix. Il en sera de même pour la plupart des produits carnés et de l’alimentation transformée. Vous pourrez toujours manger ce que vous voudrez mais il faudra en payer la facture. Inévitablement, votre palais s’ajustera à votre porte-monnaie. Mais les coûts des produits naturels et locaux iront diminuant, nous entraînant tous dans cette direction. Les paysans locaux seront à la fête. Nous cultiverons des tomates dans notre véranda, mangerons plus souvent à la maison et peut-être perdrons-nous un peu de poids et serons-nous en meilleure santé. Petit à petit, achat après achat, notre système alimentaire global s’approchera de la soutenabilité.
Depuis des années, il est ridiculement bon marché d’envoyer des marchandises par navires porte-conteneurs au travers des océans. Cela cessera. Notre manière actuelle d’exporter et importer des biens, ce système que les économistes ont loué comme le moyen de stimuler la croissance mais qui dépend d’un système de transports massivement subventionnés, finira par être mis à l’arrêt. La globalisation –ce carburant du capitalisme –cessera d’être le paradigme économique dominant. Presque tous les biens vendus en grande surface coûteront davantage. Le commerce mondial sera totalement transformé. Les exportations et importations se stabiliseront à un niveau réduit. Des milliards d’achats quotidiens redeviendront des transactions locales.
Vous conduisez le long d’une autoroute à huit voies et soudain la circulation s’arrête. Ils se passe plus ici qu’une exorbitante émission de gaz carbonique. Un embouteillage est un grand événement de stress collectif. Il y a des coûts de santé qui se rapportent à la voiture, à cette rivière d’acier, les mains serrées sur le volant, et la pression sanguine qui s’élève. Il y a un coût mental aussi. Une récente étude suédoise a déterminé qu’un trajet quotidien de 45 minutes pour se rendre au travail augmente les chances de divorce de 40%.
Quel est le coût psychique de la publicité, cette flopée quotidienne de messages pro-consommation? Et le coût mental de continuellement vérifier son téléphone -tout en tentant d’échapper à la surveillance par les Big Tech -toujours et encore? Ou le coût social et psychologique de voir ses magasins alternatifs locaux disparaître alors que Starbucks, Home Depot et Walmart se renforcent toujours. Tout ceci fait partie de l’histoire du Coût Vrai –et doit donc faire partie du bilan final –et de l’épidémie de difficultés mentales balayant l’ensemble du monde.
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Pour les économistes conventionnels, le Coût Vrai est un coup au ventre. Un marché basé sur des prix sincères ralentirait la croissance, réduiraitle flux du commerce mondial et diminuerait la consommation. Cela forcerait les économistes à revoir chaque axiome qu’ils tenaient pour acquis depuis l’aube de l’âge industriel. L’efficacité de la production en masse serait remise en cause. Les coûts cachés de Walmart seraient révélés. Le mensonge de la croissance infinie dans un monde fini apparaîtrait pour ce qu’il est.
Le «progrès» lui-même serait à redéfinir.
Il y aurait des débats savants à propos du coût psychologique et social de l’individualisme.
Le Coût Vrai pourrait se révéler être le projet le plus traumatique et douloureux que nous ayons jamais entrepris des points de vue économique, social, culturel.
Mais aussi l’un des plus transformatifs.
Dans un monde basé sur le coût vrai, il n’y aurait plus besoin de plaider ni de mener campagne. Fini le malaise moral lié à la consommation. Plus personne ne vous culpabiliserait à propos du dégât environnemental de la consommation de viande. Plus personne ne vous culpabiliserait de posséder une voiture ou de partir en vacances aux Bahamas. Tout ce qui vous est demandé est de devenir un consommateur dans un nouveau genre de système. Plutôt que «achetez au moins cher et ne vous posez pas trop de questions», la main invisible du marché selon Adam Smith commencerait à produire ses effets de manière surprenante et nouvelle. Nous ferions partie d’un système global dans lequel chacune des mille milliards de transactions réalisées chaque jour fonctionnerait pour nous, plutôt que contre nous.
Une poignée d’économistes seulement se sont évertués à penser les externalités autrement que comme une question marginale –quelques paragraphes dans les Principes d’Économie de Gregory Mankiw. Cela redéfinirait complètement le métier. Le Coût Vrai remettrait du brillant à une sombre science. Cela replacerait les économistes dans la réalité, avec quelque chose de concret à entreprendre. Une occupation vertueuse et progressiste renaîtrait à la place de l’ancienne, rétrograde. La profession deviendrait quelque chose à quoi de jeunes étudiants seraient fiers de consacrer leur vie. Les étudiants sensibles aux questions environnementales viendraient s’inscrire au cours d’initiation en économie car l’économie serait la reine des sciences, incluant de la sociologie, de l’anthropologie et de la psychologie. Ce serait la discipline essentielle pour nous sortir de la crise existentielle actuelle.
Mettre en œuvre un marché global basé sur le Coût Vrai serait en fait assez simple. Cela pourrait passer par l’utilisation du code universel des produits, code déjà existant sur chaque produit vendu au travers le monde. Quand vous le scannez, le juste prix apparaît automatiquement. Tous les coûts écologiques de la fabrication, du marketing, du fret et de la distribution du produit que vous êtes en train d’acheter sont intégrés dans le prix. Un scan, une réalité. Le choc de l’étiquette: à prendre ou à laisser.
Le Coût Vrai générerait un vaste revenu –certainement de l’ordre de mille milliards de dollars l’année. Se mettre d’accord sur l’affectation de cet argent serait sans doute une affaire difficile, âpre et contestée, à tel point que cela pourrait anéantir le projet dans son ensemble. Mais cela pourrait aussi être l’occasion d’un beau brainstorming collectif, d’un effort conjoint de l’humanité entière. La naissance d’un esprit global, aux enjeux aussi élevés que cela: notre survie même. Le magot du Coût Vrai serait un genre de super fonds global. L’argent coulerait sur chaque nation, en fonction de sa population, à dépenser suivant ses plans.
De nombreux pays pourraient choisir d’orienter cet argent vers des projets, jugés prioritaires, leur permettant d’atteindre leurs objectifs de réduction carbone. D’autres pourraient décider de redistribuer une partie de la somme, ou même le total, directement en réductions d’impôts. Un chèque conséquent arriverait par conséquent en compensation dans les boites aux lettres. Les gens accepteraient la difficulté de la mesure sachant qu’une compensation arriverait.
Les pays pourraient orienter une partie de l’argent vers un Fond global d’aide d’urgence,pris en charge par les Nations unies ou des ONG, à utiliser quand une calamité se produit. Pour les Nations unies et les ONG, toujours à courtd’argent, et pour les populations partout dans le monde et qui soudain, ne peuvent plus faire face, cela serait comme un cadeau du ciel.
Le Coût Vrai? Super idée! Mais ça ne marchera jamais.
C’est ce qu’ils disent tous.C’est sûr. Rien de tel, à cette échelle, n’a jamais été essayé. Cela ressemble comme à un plan D –après que toutes les solutions plus «raisonnables», les énergies vertes et autres options technologiques, aient été essayées.
De plus, nos expériences passées d’un accord entre nations sont plutôt lamentables. Regardez comment a été traité la Covid 19. Les gens ne pouvaient pas se mettre d’accord sur un plan cohérent global pour vaincre l’épidémie, ni pour distribuer des vaccins. Et même, certaines personnes n’étaient même pas d’accord de porter un masque.
Mais la perception globale va changer à mesure que le climat va se réchauffer. L’effondrement écologique est une catastrophe à progression lente. On ne la sent d’abord pas, on ne réussit pas à en saisir l’urgence. Car il n’y a pas le feu au lac. Pour l’instant.Mais une fois que nous aurons passé un point de bascule –et nous le saurons de manière très claire quand ça arrivera –quand des conflits liés à la lutte pour des ressources tourneront en guerres véritables, quand la violence occasionnelle se transformera en violence généralisée, et soudain, ce seront vos enfants qui auront faim, et votre maison qui sera balayée et votre pays qui sera en guerre … à ce point, on oubliera les «cela ne marchera jamais» et ce sera «sauve qui peut»
A un moment, dans la troisième décennie du 21ème siècle, alors que la Terre enregistrera une augmentation de température de deux ou trois degrés et que nous contemplerons la possibilité d’un effondrement total de notre civilisation, le monde sera prêt pour un tournant monumental.
Mettons le COÛT VRAI au programme de tous les partis Verts du monde. Rassemblons-les en une force unie globale.
L’humanité est actuellement comme une boule de flipper rebondissant dans la machine. Personne ne sait en prédire le destin. Il se pourrait bien que les meilleursefforts des scientifiques, des dirigeants politiques et des militants se réduisent à rien et que l’humanité s’enfonce en un nouvel âge sombre que nous ne saurions imaginer. Pourtant, il est possible aussi que cette dernière heure de désespoir galvanise les habitants de la Terre en un état tel qu’ils soient prêts pour une action salvatrice, une action de masse sans précédent. Une faille s’ouvrirait dans la psyché humaine pour la remplir d’une ferveur révolutionnaire si passionnée, si massive qu’elle renverserait la balance des pouvoirs et rétablirait un ordre vivable du monde.
English Version here
- tiré de La troisième force, guide pratique pour un Nouvel ordre mondial, Adbusters
traduit par : Marc Jachym
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